welcome to cat's life.

when your feet don't touch the earth, you can't feel the fates that hurt. and you're free, there's no need to come down.
Une odeur de nourriture envahit soudainement le wagon, poussant ton ventre à gargouiller. Malgré la faim qui te tiraille, tu décides d’ignorer les signaux d’alerte que ton corps te lance depuis plusieurs heures déjà. Tes problèmes d’anorexie n’ont jamais été complètement réglés et il t'arrive encore régulièrement de passer plusieurs jours sans avaler la moindre bouchée de nourriture, consciemment ou non. Tu sais bien que c’est une habitude qu'il te faut absolument changer si tu veux prouver ta bonne volonté à tes frères, une fois que tu auras repris contact avec eux. Une voix annonce la halte que tu attendais tandis que le wagon marque un arrêt brusque et tu titubes tant bien que mal jusqu’à la porte d’entrée. A l’extérieur, une foule de gens attend pour entrer à l’intérieur du métro et il te faut jouer du coude afin de pouvoir t’extirper de ces imbéciles pressés. Tu réajustes la bretelle de ton débardeur sous ta veste et te mets à monter les escaliers pour remonter à l’air libre. Brisbane. Tu es de retour. Enfin, après presque quinze ans.

Tandis que tu marches dans la rue qui s’obscurcit, tu te remémores de douloureux souvenirs. Tu n'y as habité que moins d’un an, et pourtant, tu y as vécu de si bons moments avec tes parents et tes frères. C'est presque comme si ta famille était normale à cette époque-là, alors que c’était loin d’être le cas. A force d’être traînée de ville en ville à chaque nouvelle mission de tes parents, tu as alors appris qu’il te fallait apprécier le moment présent. Un après-midi à la patinoire. Une glace au bord de la plage. Une bataille de pistolets à eau. Parce que ces beaux moments peuvent être si vite gâchés. Par un « On doit déménager » ou par un « Je suis désolé, vos parents sont décédés ».
La maison dans laquelle vous avez vécu tous ces mois avant la mort de tes parents est juste devant tes yeux. A l’intérieur, tu peux y apercevoir une famille on ne peut plus heureuse. Un père, une mère et leurs trois enfants, souriant comme dans une de ces publicités familiales. Quelle hypocrisie. Tu es certaine que l’homme trompe sa femme et que cette dernière le sait, gardant son sourire pour faire bonne figure. Le garçon aîné doit aimer se défoncer autant que toi, en cachette, alors que les deux plus jeunes semblent être de réels monstres. Mais ils sont là, dans leur cuisine illuminée en pleine obscurité, comme un tableau pour montrer aux passants que leur vie monotone est parfaite. Prise d’un accès de colère, tu attrapes une pierre à tes pieds et la lances dans la fenêtre, brisant l’harmonie qui régnait à l’intérieur. Mais avant de croiser le regard de l’un des membres de la famille, tu prends tes jambes à ton cou et t'enfuis en direction de l’abri le plus proche.

Pour ta première nuit à Brisbane, tu n'as rien prévu. Tout comme ça a été le cas lorsque tu t'es enfuie du centre de désintoxication dans lequel tes frères t'ont mise il y a quatre ans. Tu as pris le premier car en direction de l'ouest de l'Australie, loin d'Adelaide, sans réfléchir à où aller ni comment tu vivrais seule. Tu as fini à Perth, et c'est là que tu as passé près de trois ans. Tu as commencé à vivre dans la rue, puis dans des squats mal famés. Les premiers temps ont été difficiles, au point où tu as cru que tu ne passerais pas le mois. Et finalement, tu es tombée sur un mec, un sale type certes, mais qui t'a sortie de là. Au moins tu ne vivrais plus dans des trous à rat. Trois ans ont passé, avec des hauts et des bas. Puis tu as fait la rencontre de ton dernier ex, le plus tordu de tous. Un dealer de Perth, qui t'a prise avec sous son aile. Sauf qu’il avait tout compris à ta dépendance, que ce soit à la drogue ou aux gens. Que tu étais faible et que tu ferais tout ce qu’il voulait, y compris te prostituer pour avoir ta dose. Sauf que tu as fini par avoir un éclair de conscience et par t’enfuir, non sans lui voler une petite somme d’argent qu’il gardait dans sa chambre. Avec l’argent, tu t'es payé un billet d’avion pour Adelaide, afin de voir tes frères et leur demander de l’aide. Sauf qu'ils n’y étaient plus. Non, Messieurs vivaient désormais à Brisbane. Ta tante a eu pitié de toi et t'a offert le trajet jusqu'à eux.

Alors voilà, tu es à Brisbane, les poches quasiment sèches, le ventre délibérément vide. Tu erres un moment avant de finalement trouver un hôtel miteux qui demande trois fois rien pour une piaule sale, mais une piaule quand même. Tu paies ton dû pour la nuit, sans te douter que tu y serais encore d'un mois, et tu t'enfiles dans le lit sous la couverture rêche. Tu as vu pire, après tout. Bientôt tu t'en iras pour le pays des songes, mais demain, il te faudra affronter la dure réalité, et aller te confronter à tes frères. Demain, ou le jour d’après. Ou celui d’après. Tu fermes les yeux et te remémore tes objectifs, tentant de te convaincre que cette fois, tu pourras aller jusqu’au bout. Que tu pourras vaincre ton addiction et reprendre le cours d’une vie normale. Un jour.